il était une fois
James est né dans une famille aisée et a passé ses premières années à Savannah, en compagnie de ses parents et de la famille de sa mère. Fils unique, il perd malheureusement sa mère très jeune à cause d’une pneumonie, et a peu de souvenirs d'elle. Son père, propriétaire d'un business d'import export, décide alors de retourner sur sa terre natale en Louisiane, n’ayant plus rien qui le retient en Géorgie, à part de douloureux souvenirs qui ne feraient que le retenir dans le passé. Il embarque donc son fils de 8 ans et tous les deux commencent une nouvelle vie dans la plantation du grand-père Holsey. Là ou son père a grandit. Là ou il grandira à son tour.

Dès lors, James découvre un tout autre monde, restant les premières semaines collé à la fenêtre à observer les nombreux esclaves et leurs allers et retours sur la propriété. Il fut impressionné par cette ville miniature qui semblait fonctionner uniquement grâce à la poigne de fer de son grand père. Il ne fut pas impressionné très longtemps. Très vite, James réalisa que la vie de tous ces serviteurs n’était pas paisible et confortable, contrairement à ce qui trottait dans son imagination enfantine. Il avait toujours grandit avec des gens de couleur autour de lui mais n’en avait jamais vu un aussi grand nombre au même endroit… et surtout, il n’avait jamais été témoin de violence envers eux avant de déménager à la Nouvelle Orléans. Et lorsqu’il s’agissait de violence, son grand père semblait s’y connaître. Et son père semblait suivre la même voie sans se poser de questions. James lui, ne comprenait pas. Les esclaves qu’il avait eu dans sa vie avaient toujours été gentils avec lui, et dans sa tête, ils étaient disons, là de leur propre gré. C’était des voyageurs du pays qu’on appelait l’Afrique, et ils devaient être bien contents de pouvoir travailler sur cette terre de liberté ! Hélas, il désenchanta bien vite, troquant l’innocence de l’enfance pour un pessimisme aggravé. L'amour qu'il avait pour son père et son grand-père se transforma rapidement en haine et en dégout. Il le cachait bien: on l'avait, après tout, bien élevé. Mais plus le temps s'écoulerait, plus cette haine ne ferait que grandir, jusqu'au point de non retour, des années plus tard.

L’enfance de James fut dorénavant partagée en deux partie : d’un côté il traînait dans les champs, apprenant à y travailler en parlant aux esclaves, et en les observant. Il ne pouvait pas se l'expliquer: c'était là qu'il se sentait à l'aise. Avec ceux qui n'avaient pas demandé à être là, comme lui. Avec ceux qui devaient obéir aux patriarches de cette grande demeure: comme lui. Et puis, c’était comme un jeu pour le petit James de pouvoir courir à travers les hectares de plantation, et de faire ce que bon lui semblait. Le soir, il avait parfois l’occasion de rester à écouter la musique de ceux qui servaient sa famille. C’était au fond là qu’il était le plus heureux, avec les « sauvages » comme disait son père. L’autre partie de son enfance fut dédiée à l’éducation. Il apprenait à lire, à écrire, car il était hors de question qu’il ne soit qu’un « vulgaire fermier » comme disait son grand père. James s’appliquait scolairement et aimait écouter les diverses discussions qui se passaient dans la maison, lorsqu’il n’arrivait pas à s’échapper dehors. Il était fasciné par les documents d’achats d’esclaves et de propriété qui se trouvaient dans le bureau de son grand-père. Tant de noms, de chiffres, de décès… Tant de générations étaient passées par ces terres, et le petit James n’était qu’une ombre supplémentaire sur le sol.

Les années passèrent, et son grand-père finit par mourir, laissant les clés du domaine au père de James. Lui partit étudier pendant quelques années, sur la demande de son père.   Il devait apprendre bien des choses avant d’être digne d’aider le paternel à gérer ses affaires. James ne rechigna pas. Il était parfaitement heureux de partir loin de cet enfer, là ou il devait rester silencieusement à regarder son père abuser des autres. Car ce quotidien était tout a fait toléré, voir normal pour bien des familles riches qu’ils connaissaient. Dire quelque chose aurait été mal vu par la société. Et James était encore trop jeune pour oser l’ouvrir. De ce fait, s’évader loin de la Nouvelle Orléans lui fit le plus grand bien. Il put côtoyer des jeunes intellectuels et des gens qui avaient une vue plus "ouverte" au progrès, contrairement aux Etats du Sud. Enfin, James sentait qu’il n’était pas une anomalie. C’est d'ailleurs là qu’il rencontra son premier et unique amour : Thomas. De leur adolescence à la vingtaine, ils passèrent tout leur temps à essayer de se retrouver. Optant pour les mêmes cours et la même Université. Ils étaient tous les deux jeunes, curieux, dynamiques, et rêvaient de changer le monde. Thomas était plus sensible, toujours plongé dans ses livres et ses réflexions sur le monde. James lui, était plus fort physiquement, plus athlétique, ayant passé son temps à gambader dans les champs de sa famille. Ainsi, les deux avaient la dynamique parfaite pour se sentir invincibles. Et une chose les reliait indéniablement : ils avaient des désirs qui ne collaient pas avec ce qu’on attendant d’eux. Ils venaient de bonnes familles, c’était des hommes en train de parfaire leur éducation : leur devoir était donc de se marier, d’avoir des enfants, et de faire fructifier la fortune de leurs familles respectives. Ils échapperaient aux guerres, au froid et à la misère, alors: qu'ils n'aillent pas se plaindre de leur situation. Une fois leurs études militaires et civiles terminées, ils firent pourtant ce qu’on attendait d’eux : James rentra en Louisiane, et Thomas rentra dans sa famille, dans l’état de New York. Les deux restèrent en contact par le biais de lettres, mais décidèrent d'un commun accord de ne pas se revoir face à face avant quelques temps. Ils savaient que leur amour ne pouvait aboutir à rien, pas dans ce monde, pas dans cette époque. Alors, au lieu de se lancer dans un combat perdu d’avance, ils continuèrent leur vie, à des kilomètres de distance, osant une lettre ou deux chaque mois, sans fautes.

Ni l’un ni l’autre n’était intéressé par le mariage, et la perspective d'être enfermés pour toujours dans une relation futile ne leur plaisait guère. Maintenant qu'ils connaissaient le véritable amour, la véritable passion... comment revenir en arrière? Ni l’un ni l’autre n’aurait pensé tomber amoureux… d’un homme. Personne ne parlait de ce genre de choses, et lorsqu’on en parlait, ce n’était jamais positif. Mais leur rencontre n'avait pas été calculée, tout c'était fait si... naturellement. Malheureusement, les deux amants étaient bien trop en avance sur leur temps, et avaient conscience qu’ils devaient cacher leur relation aux yeux de tous. Ainsi, se promettant secrètement un amour éternel, ils restèrent aux yeux de tous de très bons amis.

Les années passèrent, et James resta aux yeux de son père le fils exemplaire dont il pouvait être fier: il s'intéressait aux affaires familiales et était un hôte apprécié par la Haute société. C'était un masque facile à porter, car ce n'en était pas réellement un. James n'avait pas l'impression de devoir cacher sa sexualité, car la seule personne qu'il désirait habitait à des centaines de kilomètres d'ici. Ses préoccupations étaient tout autre, car il gardait en lui la haine de voir tant d'esclaves souffrir, jour après jour, sur les terres de sa famille, comme sur celles des voisins. La violence dont il avait été témoin toute sa vie restait encrée en lui, et son seul désir était de prendre les rennes de la plantation afin d'en faire un lieu unique, ou la tyrannie des hommes blancs n'aurait plus lieu d'être. Ainsi donc, James attendait patiemment le jour ou il pourrait avoir les pleins pouvoirs....

Plus de dix ans après, Thomas, tel un fantôme du passé, vient rendre visite à James en à la Nouvelle Orléans. Les deux amants se retrouvent enfin, comme s'ils étaient encore des jeunes hommes qui ne s'étaient jamais quittés. Ils discutent des heures durant, restant collés l'un a l'autre tels des gosses, riant de bon coeur, insouciants. Ils décident de ne plus laisser passer autant de temps avant de se revoir, et organisent plusieurs visites dans les mois qui suivent. Le père de James, loin d'être stupide, comprend enfin pourquoi son fils ne semblait pas intéressé par les nombreuses prétendantes qu'il lui mettait sous le nez, et commence à insister pour qu'il se trouve une femme. Il va même plus loin: il le menace, pensant que son fils va simplement obéir. Mais James est maintenant un homme, et son père n'est qu'un vieux monsieur frêle qui n'as plus grand chose à apporter au monde à part d'insupportables commentaires sur la politique, ainsi que de multiples jérémiades et tirades sur les devoirs d'un homme. Petit à petit, le monde avait dirigé James vers un changement inévitable qui allait s'opérer en lui. Et une fois lancé, rien ne pourrait l'arrêter. Si son père le voyait comme un monstre: il le deviendrait.

James, fortement influencé par les valeurs de Thomas, s'intéressait depuis bien longtemps aux différentes routes possibles pour aider les esclaves à s'échapper vers le nord, et vers le sud. Il avait entendu bien des rumeurs sur ceux qui facilitaient à leur façon, la lutte pour la liberté. Mais James savait également qu'il ne s'agissait pas de réseaux organisés: pour l'instant. Car Thomas, James et certaines personnes très proches d'eux partageaient un rêve: celui de se servir de leur ressource pour sauver quelques vies. Eux qui avaient la chance de pouvoir se cacher derrière leurs richesses, leurs faux amis bourgeois, et leur couleur de peau blanche. Eux qui avaient conscience de leur privilège, contrairement aux ânes qui les entouraient: c'était à eux de faire changer les choses. Et s'ils devaient commencer par lutter dans l'ombre, c'est ce qu'ils feraient. Mais il restait un obstacle: son père. Mais plus pour longtemps. James ne pouvait pas attendre éternellement, et son père avait inconsciemment sonné son arrêt de mort en découvrant ses penchants sexuels, et en le menaçant.

Après des mois de complot discrets, le plan était fin prêt: le père de James serait assassiné par une personne extérieure. Thomas s'occuperait de tout. Et ils seraient enfin libres. Le plan fut rapidement exécuté, et le père enterré avec très peu de témoins. Personne n'eut l'occasion de voir le corps à part James et ses complices. Le tyran n'était plus. James devint seul propriétaire de tous les biens de sa famille. Il commença par changer l'exploitation de la plantation afin de se lancer dans le coton: ce qui était d'un coup beaucoup moins dangereux pour les esclaves. Ce changement prit énormément de temps, mais en valait largement la peine. Et mine de rien, il n'y avait pas tant d'occasions que cela d'aider des esclaves: ce n'est pas comme si on croisait des fugitifs tous les jours. C'était même du jamais vu dans le coin. Alors James passe plus de temps à discuter avec son bras droit, à écrire à Thomas qui vit toujours loin de lui, etc. Que de beaux discours révolutionnaires perdus dans le vent, que de temps perdu à ne pas savoir par ou commencer ! La patience est la seule arme dont ils semblent avoir besoin pour l'instant, mais leurs coeurs, remplis d'espoirs, restent prêts au combat !